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2019, installation audiovisuelle , 06’59”.

À partir du poème éponyme de Ho Xuan Huong,
traduit du vietnamien vers le français par Van Hoa

Parmi toutes les langues que l’on parle en Asie, le vietnamien a la particularité de recourir à l’alphabet latin pour son expression écrite, et de le compléter d’une série de signes d’accentuation restituant les sonorités auxquelles des oreilles occidentales ne sont pas accoutumées. Six tons viennent en effet rythmer les syllabes, dans cette langue où les mots qui en comptent plus de deux se font rares et ne varient, en outre, ni en genre ni en nombre. Du fait de ses caractéristiques, la langue vietnamienne nous porte à considérer les mots à la manière d’un sculpteur, tels des blocs de construction néanmoins doués d’une certaine plasticité : la moindre inflexion graphique y entraîne, en effet, de subtiles nuances de ton ainsi que de lourdes répercussions sémantiques.

En détournant un célèbre traducteur en ligne, la vidéo nous invite à suivre la construction d’un texte signe par signe, au prix d’un effet dilatoire dont on se demande s’il est intentionnel ou s’il est dû à une défaillance technique. Il nous permet d’observer, tout d’abord, la manière dont le placement des différents accents étire, comprime ou épingle les lettres, avant de reporter notre attention sur une traduction qui déploie toute l’étendue des bouleversements induits par un changement d’accent pourtant difficilement perceptible. Ainsi, tandis que l’original revient quasiment à l’identique dans la fenêtre de gauche, dans celle de droite la configuration textuelle se voit à chaque fois entièrement remaniée, illustrant à nouveau cet « effet papillon » dont nous parlent la théorie du chaos comme la sagesse bouddhiste, qui veut que d’infimes variations dans les paramètres de départ puissent, par un subtil engrenage, avoir d’immenses conséquences. L’événement de la traduction étant différé, une ambiguïté plane aussi quant à savoir si la traduction est automatique, ou si elle fut retravaillée à dessein de générer des phrases dont la syntaxe est correcte mais le sens introuvable et, par suite, des situations cocasses ou bien embarrassantes. Se pose alors la question de l’usage auquel se prête ici ce dispositif de traduction. Qui donc se trouve en situation de recourir à un outil numérique pour traduire un texte dont l’imagerie érotique est assez flagrante, et à quelles fins ? Il s’agit en effet d’un poème de Ho Xuan Huong, qui vécut sous la dynastie des Nguyen (1772-1822) et qui, dans un tel contexte, apparaît un peu comme l’équivalent de Louise Labé, en ce qu’elle aussi écrivit des textes provocants présentant, par là même, un intérêt majeur, tant du point de vue artistique que social.

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